Chemise et pantalon à pinces, ce jeune homme attentionné et responsable a la tête sur les épaules.
«J'ai seulement 20 ans, je n'ai jamais travaillé et je possède déjà un capital de 200 000 euros. Cet argent me sera sûrement utile un jour mais, pour l'instant, il me gêne. Je n'ai rien fait pour le gagner. Il s'agit de l'indemnisation que mes parents ont obtenue quand j'étais petit, au titre de l'erreur médicale. Je suis né prématuré, dans un hôpital de la région parisienne. Dans les premiers mois, j'ai subi une transfusion avec du sang qui était contaminé. Mes parents ne l'ont su que cinq ans plus tard, quand toute la famille a passé une batterie de tests au retour d'un séjour dans un pays africain. Le mien s'est révélé positif pour le VIH.
J'avais 8 ans quand je l'ai appris. C'était un dimanche après-midi, où mes deux frères n'étaient pas à la maison. Je dessinais des avions quand mes parents sont venus me parler. J'ai demandé qui d'autre était au courant. Il y avait la sœur et le frère de ma mère, ainsi que le couple d'amis le plus proche de la famille. Pendant un an, je n'ai plus abordé le sujet. J'imaginais le virus comme un méchant glouton hérissé de piquants, qui se jetait sur les gentils globules blancs pour les dévorer. J'ai fait de nombreux cauchemars à cette période. La mort me préoccupait beaucoup. Récemment, j'ai retrouvé le carnet sur lequel je notais les questions destinées à mon médecin. Il était écrit: «Est-ce que l'espérance de vie est moins élevée quand on est porteur du virus?»
Plus le temps passe, et moins je m'inquiète pour ma santé. J'ai confiance dans la médecine. Je n'ai pas eu de pépin majeur. Sauf à 12 ans, quand j'ai été hospitalisé pour une mononucléose. Je ne pesais plus que 17 kilos. Mes défenses immunitaires étaient tombées très bas. Les médecins m'ont donné un traitement costaud, avec quatre médicaments à la fois. Actuellement, je suis en trithérapie. Je ne souffre pas des effets secondaires. J'ai toujours pris mes comprimés sans me cacher. Je n'ai eu à le regretter qu'une seule fois, quand j'étais parti en classe de neige, l'année du CM 1. Les autres élèves ont commencé à jaser. Je les entendais faire des suppositions dans mon dos. L'un d'eux a suggéré: peut-être qu'il est séropositif. J'étais inquiet. Je me demandais comment réagir s'ils m'interpellaient. J'avais envisagé trois options: soit tu fais le mec qui n'a pas entendu. Soit tu nies en bloc. Soit tu réponds oui. Finalement, ils se sont désintéressés de la question.
Adolescent, j'en ai eu d'un seul coup ras le bol d'avaler des médicaments. J'ai sauté quelques prises. Ma mère s'en est vite aperçue. Elle s'assurait, tous les soirs, que le compte était bon. Si elle n'avait pas été derrière moi, j'aurais sans doute zappé le traitement de temps en temps. Ma mère ne se laisse jamais dépasser par les événements.
Il y a trois ans, j'ai eu une petite amie. Nous sommes restés six mois ensemble. Après beaucoup d'hésitations, je lui ai dit que j'étais séropositif. Mais, ensuite, je n'ai pas osé franchir le pas. Les rapports sexuels me posent un problème. Ma grande peur, c'est de contaminer quelqu'un. Je me torture l'esprit. Et si le préservatif craquait? S'il y avait un raté?
Aujourd'hui, le sida fait moins peur. Pourtant, être séropositif est toujours aussi stigmatisant qu'avant. Quand j'aurai terminé mon école de commerce, j'aimerais m'engager à fond dans la politique, avoir un mandat électoral. C'est un métier qui donne une chance de faire évoluer la société.»
Source: L'express • 29.11.2004