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Franck, 24 ans, étudiant - j'ai craqué

Un sourire éclatant à faire chavirer les filles, ce grand sensible donne le change en affichant un air toujours détaché.

«J'ai toujours été doué en classe. Je suis né à Paris, de parents africains. J'ai grandi dans une capitale d'Afrique. J'y fréquentais le lycée français, où j'ai passé le baccalauréat. Ensuite, j'ai entamé mes études supérieures en France. Actuellement, je prépare un DESS de marketing en alternance. Je n'ai jamais redoublé. Pourtant, j'ai souvent manqué l'école. Enfant, j'ai eu la rougeole, une méningite, la typhoïde et deux fois la varicelle. Régulièrement, j'étais cloué au lit par des crises de paludisme. Mes grands-parents, qui m'ont élevé, étaient aisés. Ils payaient l'instituteur pour que celui-ci vienne me donner des cours de rattrapage à la maison.

A l'âge de 13 ans, je suis tombé gravement malade. Ma tante, qui était médecin, m'a fait faire une prise de sang. Elle a demandé, en secret, le test pour le VIH. Mais quand elle a reçu le résultat, qui était positif, elle n'a pas osé me le dire. Pendant deux ans, ma santé n'a cessé de se dégrader. Je n'ai rien à reprocher à ma tante. Elle a beaucoup insisté pour que je sois soigné en France. Ici, disait-elle, on ne pouvait plus rien faire pour moi.

J'avais 15 ans quand ma famille s'est résolue à m'envoyer à Paris. Le jour du départ, à l'aéroport, mes cousins pleuraient. Ils pensaient ne plus me revoir. J'étais affreux à regarder. Je pesais seulement 35 kilos. J'avais à peine la force de parler. On m'a porté jusque dans l'avion. A l'arrivée, une ambulance m'a emmené directement à l'hôpital. Au bout de trois semaines, je me suis senti mieux. Mon médecin m'a annoncé que j'étais porteur du virus. Je n'ai pas été surpris. J'avais déjà pensé à cette maladie, mais j'avais écarté l'idée, croyant qu'elle s'attrapait uniquement par les relations sexuelles. L'enquête a montré que j'avais sans doute été contaminé peu après ma naissance, lors d'une transfusion. Je suis né en avance, alors que ma mère était à six mois et demi de grossesse. Ni elle ni mon père ne sont séropositifs. Je n'ai pas réclamé d'indemnités devant la justice. C'est arrivé, voilà tout.

A la sortie de l'hôpital, j'ai été hébergé par une amie de la famille, dans la région parisienne. Les médecins lui avaient expliqué que la seule précaution à prendre était de ranger à part mes affaires de toilette. Mais elle n'était pas convaincue. Elle m'avait attribué un bol, une assiette, un couteau et une fourchette. Quand il m'arrivait d'utiliser d'autres ustensiles, elle les jetait à la poubelle en cachette. Chaque fois que j'avais pris ma douche, elle passait derrière avec l'eau de Javel. Au bout de deux mois, j'ai craqué. Je devais déjà me battre pour vivre. S'il fallait en plus négocier pour utiliser les couverts... Je suis retourné en Afrique, chez mes grands-parents. Je revenais régulièrement à Paris en consultation.

Un seul de mes copains est au courant. C'est mon ami d'enfance, qui vit lui aussi en France. Avant de lui lâcher l'information, j'avais préparé le terrain. Je lui avais fait comprendre, en lui montrant des articles, que la maladie n'était pas dangereuse. Quand je lui ai dit, il y a quatre ans, que j'étais touché, il a d'abord refusé de me croire. J'ai dû lui montrer mes ordonnances et mes médicaments pour qu'il me prenne au sérieux. Puis il m'a dit: "Bon, et alors? On s'en fout."

Un grand nombre de personnes restent méfiantes au sujet du sida. Si on te montre la photo de quelqu'un avec la peau sur les os et les yeux exorbités, forcément, tu es terrorisé. Mais, si les gens me voyaient, ils seraient étonnés. Ils comprendraient qu'être séropositif ce n'est pas la fin du monde.»

Source: L'express • 29.11.2004