Est-il permis de le dire ? Le sida ne se guérit pas encore mais des séropositifs vivent heureux et pendant longtemps.
Que des séropositifs vivent heureux et pendant longtemps, c’est une infirmière qui me l’a dit. Il faut le redire encore et encore. Je n’ai pas l’intention de me laisser tuer par l’alarmisme et le pessimisme ambiants. L’on me reprochera peut-être d’être négationniste. Il est vrai qu’à l’époque, je n’ai pas vu la souffrance de certaines familles démantelées par la maladie. L’on me jettera des pierres après mes crimes de non protection de partenaires en danger. Egoïste ! m’insultera-t-on ! Egoïste qui ne pense qu’à se satisfaire sans protéger les autres ! (…)
J’avais caché mon horrible statut à Gabriel. Notre amour débutant, rose, tout heureux, donnait à espérer (former un îlot de tendresse à l’abri du monde). Je ne voulais pas briser le bonheur avec l’idée de la maladie. Il m’avait offert un immense bouquet de fleurs rouges et blanches, j’avais pensé : L’amour sauve du sida…Apparu en conséquence de la médiocrité de mes relations, jailli d’un fumier, le virus partirait sous les effets de l’amour vrai. Nous avions pris de la cocaïne… puis fait l’amour. Nous baignions dans une telle volupté qu’au moment où il aurait fallu interrompre les ébats pour aller chercher les préservatifs dans la pharmacie dans la salle de bain, je me trouvai paralysée… Vaguement, je pensai : je devrais le lui dire. Je repoussai cette pensée pénible. Ne pas briser le délice! Demeurer au paradis…
Après l’amour, optimiste, je ressassai des théories qui disent que le virus hiv ne mène pas au sida, qu’il est inoffensif… Mais bientôt, je pensai : j’ai fait courir un risque à mon amour. Si je l’avais prévenu dans les vingt-quatre heures, j’aurais pu lui éviter le danger. Il aurait pu prendre une trithérapie. La trithérapie diminuerait les probabilités de transmission du vih de 70%...Hésitante, refusant de détruire notre union débutante, j’avais différé encore le moment où il faudrait le dire.
L’inquiétude sourdrait. Je me résolus d’abord à attendre trois mois avant de l’alarmer. A quoi bon l'épouvanter inutilement ? Quatre jours étaient passés depuis le contact à risque ; à ce stade ci, il était impuissant. Dans mon agenda, j’entourai la date où je devrais l’informer.
Mon médecin de l’hôpital, homme sympathique, dévoué, conseilla l’honnêteté. J’avouai. Il se sentit glacé mais ne me quitta pas. Gabriel me fit promettre de ne plus jamais faire ce coup la à personne, sous aucun prétexte. Je promis…
Auteur: Valérie, le 25 mars 2006